Wang Xiaofeng : humour noir et langue verte
par Renaud
Wang Xiaofeng (王小峰), né en 1968, est rédacteur au magazine Sanlian (三联生活周刊), hebdomadaire généraliste avec un focus culturel. C’est surtout un bloggueur invétéré, connu dans tout le cyberespace chinois par ses billets impertinents, où il met tout ce qu’il ne peut pas écrire dans ses articles papier (http://www.wangxiaofeng.net ). Il en a tiré un livre et inspiré un film. Il bloggue presque comme il respire, et cela lui arrive de produire plusieurs fois par jour.
Il appartient à la « génération Tian’anmen », cette brève « Aufklärung » chinoise qui modèle en creux la société actuelle. Les étudiants de cette époque étaient les premiers à redécouvrir les ouvrages interdits sous Mao et à avoir accès au bouillonnement intellectuel occidental. Curieux de tout et grands consommateurs d’ouvrages, ils ont été brisés dans leur élan à la fin des années 80. Leur idéal, tombé sur les dalles de la place de la Porte de la Paix Céleste, n’a pas été repris. La génération ultérieure, surnommée par les Chinois « ceux d’après 80 » s’est plus sagement coulée dans la société de consommation naissante et la diffusion de la « civilisation des loisirs ».
Aujourd’hui, cette génération Tian’anmen a la quarantaine et se retrouve à tous les postes clé des media et de l’enseignement notamment. Si ses membres ne sont pas encore au faîte de leur carrière, ils constituent cependant déjà la force déterminante d’évolution de la société chinoise. Par leur goût pour la liberté et le désillusionnement amer qu’ils ont éprouvé, ils contribuent au renouveau et à la popularité croissante de l’humour noir en Chine.
Humour noir et impertinence
L’humour noir a longtemps eu mauvaise presse, souvent accusé d’être contre-révolutionnaire en raison de sa méchanceté et de sa pluralité de lectures, incompatibles avec l’unicité fleur bleue du réalisme socialiste. « Humour noir » (黑色幽默 ) semble d’ailleurs avoir un sens très large en chinois, et couvre pratiquement tout ce que nous appelons le second degré. Le noir est moins ce qui est sinistre que ce qui est caché.
Wang Xiaofeng joue sur tous ces registres et donne à ses billets un ton provocateur. Ainsi, sur un post sobrement et malicieusement titré « Histoire », il livre les réflexions que lui inspirent la vision de « Nankin, Nankin » (Lu Chuan, 2009). Ce film narre l’épisode effroyable et donc toujours monté en épingle du massacre de Nankin par les troupes japonaises fin 1937-début 1938 (de 200 000 à 400 000 victimes selon les sources). Délicat d’écrire sur ce sujet sans rester dans le consensualisme en Chine, coincé dans un émotionnel difficilement évitable et soigneusement entretenu par la mémoire officielle... Wang Xiaofeng arrive pourtant à utiliser le thème pour faire un portrait épicé des mutations de la société chinoise, à travers l’évolution imaginée de ses réactions face au film :
- Années 50 : ce film montre cet épisode historique
- Années 60 : cet épisode historique peut être montré de cette façon
- Années 70 : c’est un épisode historique
- Années 80 : comment cela a-t-il pu avoir lieu ? Boycottons le Japon !
- Années 90 : ce soldat japonais est trop cool et beau gosse, j’en suis raide dingue.
Comme un bon scénariste, il commence en général ses billets par quelques platitudes destinées à engourdir le lecteur, pour encore accentuer la férocité de ses chutes.
Son dernier commentaire sur la session plénière des deux assemblées débute ainsi par une réflexion faussement naïve et bien pensante. Il affirme que pour tout bon Pékinois, ces grands événements nationaux sont toujours un peu pénibles, parce qu’ils gênent la circulation. Cependant, en réfléchissant au fait que c’est là un grand événement annuel de la vie politique du pays, tout le monde peut bien accepter quelques jours d’inconfort.
Sans transition, il lance alors son attaque : « J’avais auparavant du mal à apprécier les imbécilités proférées par quelques députés. Les affaires de l’Etat leur sont confiées, et ils nous jouent un spectacle pour enfants. » La session est vécue comme un moment pénible par les journalistes, qui n’ont pas le droit de faire ressortir d’autre actualité dans leurs colonnes.
« Toutefois, quand on se penche sur ce que [les députés] disent, on s’aperçoit que si on ne l’avait pas fait, on ne se rendrait pas compte que le monde est si extraordinaire. Depuis quelques années, je ne regarde plus la session plénière des deux assemblées comme un évènement politique mais comme un divertissement. […] En écoutant les députés parler, je me rend compte que l’art chinois du Xiangsheng [相声 dialogue comique entre deux acteurs] est en plein rayonnement. […] ce genre de session plénière ne devrait pas avoir lieu une seule fois dans l’année, il faudrait qu’il y en ait quatre, régulièrement, comme un feuilleton télévisé… »
Sa phrase de conclusion met un point d’orgue final, sans appel, coup de grâce en pleine lumière cette fois : « Mais il y a quelque chose que je ne comprendrais jamais : comment fait-on pour pouvoir réunir autant de décérébrés (脑残) de haut niveau au même moment ? »
L’impertinence de Wang Xiaofeng ne se limite pas aux sujets sociaux et politiques. La sécurité dans les aéroports l’ennuie profondément, et il explique dans un billet comment ne pas se faire confisquer son briquet en passant les contrôles. Une fois cependant, le portique de détection sonne, et une « camarade » préposée munie d’un bâton de détection l’examine. Le détecteur réagit à la boucle de ceinture. L’agent lui fait ouvrir son pantalon pour jeter un coup d’œil. « Pourtant, écrit-il, à cet endroit il n’y a généralement que la zigounette, pas de briquet. »
Langue verte et grivoiserie chic
La vulgarité et la grivoiserie ont une histoire compliquée dans la Chine d’après 1949. L’uomo nuovo chinois est un paysan bourru et franc, aux antipodes du modèle du lettré raffiné du Kouomintang, dont la politesse est présentée comme une hypocrisie de classe. Il s’exprime donc dans une langue parfois crue et fleurant bon la terre. Cependant, il est sensé être « pur » et affranchi de toutes les fantaisies du sexe, l’Etat l’aidant à éradiquer tout ce qui pourrait les lui rappeler.
Ainsi, dans la Chine maoïste, la langue verte et la plupart des expressions à connotation sexuelle ont hiberné dans les sous-sols de la camaraderie masculine, rarement écrites ou montrées à l’extérieur. Comme un peu partout dans le monde, c’est surtout l’équivalent de l’anglo-saxon « fuck » qui a surnagé dans la vulgate des insultes populaires, avec sa formule développée impliquant ta mère. La littérature commence à dédramatiser l’usage occasionnel de la langue verte dans les années 80. C’est à ce moment que les œuvres de Jin Yong commencent à paraître en Chine Populaire. Cet auteur de romans de cape et d’épée est aujourd’hui le romancier le plus apprécié en Chine, avec un lectorat mixte et intergénérationnel. Son œuvre satirique « Le cerf et le chaudron », réussit à faire rire lecteurs et lectrices par une insulte inventive prononcée par un enfant : « Je nique sa grand-mère jusqu’à la dix-neuvième génération ! » (我操他十九代祖宗的奶奶!- la formule originale ne remonte qu’à 18 génération et n’inclut pas l’aïeule)
Depuis, les plaisanteries grivoises ont peu à peu repris leur pied aux frontières de la culture officielle. Les spectacles du genre « Er Ren Zhuan » (二人转 « un homme, une femme », dialogues comiques traditionnels du Nord-Est, remplis de sous-entendus sexuels), figurent au programme de la fameuse soirée de réveillon de CCTV depuis 1992. Dans les années 90, Wang Shuo crée un phénomène littéraire en transcrivant fidèlement dans ses romans les formules les plus crues de l’argot pékinois. Il connaît un immense succès.
Sur son blog, Wang Xiaofeng porte le flambeau de ce style décomplexé, qui a toujours une connotation virile, mais qui a maintenant tendance à devenir « cool ». En janvier 2007, alors que son magazine publie un dossier sur Confucius, il s’amuse à détourner les maximes du maître sur son site internet. Le fameuse phrase « Parmi trois personnes je peux toujours trouver quelqu'un qui va m'enseigner quelque chose » (三人行,必有我师焉), est ainsi réinterprétée en « Dans une partie à trois, il faut toujours que j’en mouille une » (« enseigner » et « mouiller » sont homophones). Sa plaisanterie fait le tour de la toile et pas moins d’une cinquantaine de sites la reprennent.
Pour autant, Wang Xiaofeng se défend d’écrire en jargon : « Je pense que les mots que j’emploie sont communs et facilement compréhensibles, on n’y trouve aucun terme rare en martien ni de style écrit avec sa bite à la mode sur internet… »
Entre amour et haine
Si le blog de Wang Xiaofeng est populaire, c’est aussi parce qu’il n’est pas consensuel. Le compliment le plus fréquent dans les messages de ses admirateurs s’exprime par le terme « niu » (牛), qui veut originellement dire « bovidé ». Sa signification dérivée, très positive, est à l’antipode du sens du « bovin » français, et fait référence à l’impétuosité et à la vigueur du taureau (comme l’anglais « bullish »).
Naturellement, les conservateurs et les nationalistes ne l’aiment pas. Cependant, certains jeunes intellectuels progressistes nés dans les années 80 ne le portent pas non plus dans leur cœur. Ils lui reprochent ce qu’ils reprochent aussi aux autres membres de sa génération : un manque d’éducation, une posture de héros, un manque de courage pour faire bouger les choses alors qu’ils sont aujourd’hui au cœur du système, et une confiscation du pouvoir à leur profit (cela ressemble aux critiques dont fait l’objet la génération 68 aujourd’hui en France).
Ces différentes opinions se reflètent plus ou moins bien dans les commentaires à ses billets. Sur son blog, les commentateurs sont appelés des « chimpanzés ». Lorsque l’on veut ajouter son grain de sel, un message prévient : « Voulez-vous devenir un chimpanzé ? » Wang Xiaofeng avoue faire le ménage dans sa ménagerie, et d’en ôter les insultes et messages « trop cons ». Parfois, certains commentaires l’agacent trop et il en fait un article.
Ainsi, le 11 mars 2009, notre bloggueur répond à un commentaire l’accusant d’être un « décérébré » (insulte visant les thuriféraires du Parti) : « Si tu veux vraiment me critiquer, il faut au moins que tu prennes la peine de comprendre ce que j’ai écrit. En lisant ce genre de message, j’ai eu le plaisir de me rendre compte de la formidable efficacité de notre système éducatif. Regardez ce camarade si intéressé par les lettres et pourtant incapable de comprendre le chinois… »
Wang Xiaofeng pourrait s’en arrêter là. Il ne peut pourtant s’empêcher d’achever son ennemi avec des formules plus viriles dont se délectent ses lecteurs : « Parfois, à ces personnes qui ne comprennent rien mais qui aiment poster des commentaires pour exprimer leur point de vue, j’ai envie de dire : “tu as le droit de baiser, mais tu ne peux pas bander. Maintenant, ce que tu as de mieux à faire, c’est trouver un endroit tranquille pour te branler. Quand tu seras en érection, reviens nous voir.” »
Wang Xiaofeng (王小峰), né en 1968, est rédacteur au magazine Sanlian (三联生活周刊), hebdomadaire généraliste avec un focus culturel. C’est surtout un bloggueur invétéré, connu dans tout le cyberespace chinois par ses billets impertinents, où il met tout ce qu’il ne peut pas écrire dans ses articles papier (http://www.wangxiaofeng.ne
Il appartient à la « génération Tian’anmen », cette brève « Aufklärung » chinoise qui modèle en creux la société actuelle. Les étudiants de cette époque étaient les premiers à redécouvrir les ouvrages interdits sous Mao et à avoir accès au bouillonnement intellectuel occidental. Curieux de tout et grands consommateurs d’ouvrages, ils ont été brisés dans leur élan à la fin des années 80. Leur idéal, tombé sur les dalles de la place de la Porte de la Paix Céleste, n’a pas été repris. La génération ultérieure, surnommée par les Chinois « ceux d’après 80 » s’est plus sagement coulée dans la société de consommation naissante et la diffusion de la « civilisation des loisirs ».
Aujourd’hui, cette génération Tian’anmen a la quarantaine et se retrouve à tous les postes clé des media et de l’enseignement notamment. Si ses membres ne sont pas encore au faîte de leur carrière, ils constituent cependant déjà la force déterminante d’évolution de la société chinoise. Par leur goût pour la liberté et le désillusionnement amer qu’ils ont éprouvé, ils contribuent au renouveau et à la popularité croissante de l’humour noir en Chine.
Humour noir et impertinence
L’humour noir a longtemps eu mauvaise presse, souvent accusé d’être contre-révolutionnaire en raison de sa méchanceté et de sa pluralité de lectures, incompatibles avec l’unicité fleur bleue du réalisme socialiste. « Humour noir » (黑色幽默 ) semble d’ailleurs avoir un sens très large en chinois, et couvre pratiquement tout ce que nous appelons le second degré. Le noir est moins ce qui est sinistre que ce qui est caché.
Wang Xiaofeng joue sur tous ces registres et donne à ses billets un ton provocateur. Ainsi, sur un post sobrement et malicieusement titré « Histoire », il livre les réflexions que lui inspirent la vision de « Nankin, Nankin » (Lu Chuan, 2009). Ce film narre l’épisode effroyable et donc toujours monté en épingle du massacre de Nankin par les troupes japonaises fin 1937-début 1938 (de 200 000 à 400 000 victimes selon les sources). Délicat d’écrire sur ce sujet sans rester dans le consensualisme en Chine, coincé dans un émotionnel difficilement évitable et soigneusement entretenu par la mémoire officielle... Wang Xiaofeng arrive pourtant à utiliser le thème pour faire un portrait épicé des mutations de la société chinoise, à travers l’évolution imaginée de ses réactions face au film :
- Années 50 : ce film montre cet épisode historique
- Années 60 : cet épisode historique peut être montré de cette façon
- Années 70 : c’est un épisode historique
- Années 80 : comment cela a-t-il pu avoir lieu ? Boycottons le Japon !
- Années 90 : ce soldat japonais est trop cool et beau gosse, j’en suis raide dingue.
Comme un bon scénariste, il commence en général ses billets par quelques platitudes destinées à engourdir le lecteur, pour encore accentuer la férocité de ses chutes.
Son dernier commentaire sur la session plénière des deux assemblées débute ainsi par une réflexion faussement naïve et bien pensante. Il affirme que pour tout bon Pékinois, ces grands événements nationaux sont toujours un peu pénibles, parce qu’ils gênent la circulation. Cependant, en réfléchissant au fait que c’est là un grand événement annuel de la vie politique du pays, tout le monde peut bien accepter quelques jours d’inconfort.
Sans transition, il lance alors son attaque : « J’avais auparavant du mal à apprécier les imbécilités proférées par quelques députés. Les affaires de l’Etat leur sont confiées, et ils nous jouent un spectacle pour enfants. » La session est vécue comme un moment pénible par les journalistes, qui n’ont pas le droit de faire ressortir d’autre actualité dans leurs colonnes.
« Toutefois, quand on se penche sur ce que [les députés] disent, on s’aperçoit que si on ne l’avait pas fait, on ne se rendrait pas compte que le monde est si extraordinaire. Depuis quelques années, je ne regarde plus la session plénière des deux assemblées comme un évènement politique mais comme un divertissement. […] En écoutant les députés parler, je me rend compte que l’art chinois du Xiangsheng [相声 dialogue comique entre deux acteurs] est en plein rayonnement. […] ce genre de session plénière ne devrait pas avoir lieu une seule fois dans l’année, il faudrait qu’il y en ait quatre, régulièrement, comme un feuilleton télévisé… »
Sa phrase de conclusion met un point d’orgue final, sans appel, coup de grâce en pleine lumière cette fois : « Mais il y a quelque chose que je ne comprendrais jamais : comment fait-on pour pouvoir réunir autant de décérébrés (脑残) de haut niveau au même moment ? »
L’impertinence de Wang Xiaofeng ne se limite pas aux sujets sociaux et politiques. La sécurité dans les aéroports l’ennuie profondément, et il explique dans un billet comment ne pas se faire confisquer son briquet en passant les contrôles. Une fois cependant, le portique de détection sonne, et une « camarade » préposée munie d’un bâton de détection l’examine. Le détecteur réagit à la boucle de ceinture. L’agent lui fait ouvrir son pantalon pour jeter un coup d’œil. « Pourtant, écrit-il, à cet endroit il n’y a généralement que la zigounette, pas de briquet. »
Langue verte et grivoiserie chic
La vulgarité et la grivoiserie ont une histoire compliquée dans la Chine d’après 1949. L’uomo nuovo chinois est un paysan bourru et franc, aux antipodes du modèle du lettré raffiné du Kouomintang, dont la politesse est présentée comme une hypocrisie de classe. Il s’exprime donc dans une langue parfois crue et fleurant bon la terre. Cependant, il est sensé être « pur » et affranchi de toutes les fantaisies du sexe, l’Etat l’aidant à éradiquer tout ce qui pourrait les lui rappeler.
Ainsi, dans la Chine maoïste, la langue verte et la plupart des expressions à connotation sexuelle ont hiberné dans les sous-sols de la camaraderie masculine, rarement écrites ou montrées à l’extérieur. Comme un peu partout dans le monde, c’est surtout l’équivalent de l’anglo-saxon « fuck » qui a surnagé dans la vulgate des insultes populaires, avec sa formule développée impliquant ta mère. La littérature commence à dédramatiser l’usage occasionnel de la langue verte dans les années 80. C’est à ce moment que les œuvres de Jin Yong commencent à paraître en Chine Populaire. Cet auteur de romans de cape et d’épée est aujourd’hui le romancier le plus apprécié en Chine, avec un lectorat mixte et intergénérationnel. Son œuvre satirique « Le cerf et le chaudron », réussit à faire rire lecteurs et lectrices par une insulte inventive prononcée par un enfant : « Je nique sa grand-mère jusqu’à la dix-neuvième génération ! » (我操他十九代祖宗的奶奶!- la formule originale ne remonte qu’à 18 génération et n’inclut pas l’aïeule)
Depuis, les plaisanteries grivoises ont peu à peu repris leur pied aux frontières de la culture officielle. Les spectacles du genre « Er Ren Zhuan » (二人转 « un homme, une femme », dialogues comiques traditionnels du Nord-Est, remplis de sous-entendus sexuels), figurent au programme de la fameuse soirée de réveillon de CCTV depuis 1992. Dans les années 90, Wang Shuo crée un phénomène littéraire en transcrivant fidèlement dans ses romans les formules les plus crues de l’argot pékinois. Il connaît un immense succès.
Sur son blog, Wang Xiaofeng porte le flambeau de ce style décomplexé, qui a toujours une connotation virile, mais qui a maintenant tendance à devenir « cool ». En janvier 2007, alors que son magazine publie un dossier sur Confucius, il s’amuse à détourner les maximes du maître sur son site internet. Le fameuse phrase « Parmi trois personnes je peux toujours trouver quelqu'un qui va m'enseigner quelque chose » (三人行,必有我师焉), est ainsi réinterprétée en « Dans une partie à trois, il faut toujours que j’en mouille une » (« enseigner » et « mouiller » sont homophones). Sa plaisanterie fait le tour de la toile et pas moins d’une cinquantaine de sites la reprennent.
Pour autant, Wang Xiaofeng se défend d’écrire en jargon : « Je pense que les mots que j’emploie sont communs et facilement compréhensibles, on n’y trouve aucun terme rare en martien ni de style écrit avec sa bite à la mode sur internet… »
Entre amour et haine
Si le blog de Wang Xiaofeng est populaire, c’est aussi parce qu’il n’est pas consensuel. Le compliment le plus fréquent dans les messages de ses admirateurs s’exprime par le terme « niu » (牛), qui veut originellement dire « bovidé ». Sa signification dérivée, très positive, est à l’antipode du sens du « bovin » français, et fait référence à l’impétuosité et à la vigueur du taureau (comme l’anglais « bullish »).
Naturellement, les conservateurs et les nationalistes ne l’aiment pas. Cependant, certains jeunes intellectuels progressistes nés dans les années 80 ne le portent pas non plus dans leur cœur. Ils lui reprochent ce qu’ils reprochent aussi aux autres membres de sa génération : un manque d’éducation, une posture de héros, un manque de courage pour faire bouger les choses alors qu’ils sont aujourd’hui au cœur du système, et une confiscation du pouvoir à leur profit (cela ressemble aux critiques dont fait l’objet la génération 68 aujourd’hui en France).
Ces différentes opinions se reflètent plus ou moins bien dans les commentaires à ses billets. Sur son blog, les commentateurs sont appelés des « chimpanzés ». Lorsque l’on veut ajouter son grain de sel, un message prévient : « Voulez-vous devenir un chimpanzé ? » Wang Xiaofeng avoue faire le ménage dans sa ménagerie, et d’en ôter les insultes et messages « trop cons ». Parfois, certains commentaires l’agacent trop et il en fait un article.
Ainsi, le 11 mars 2009, notre bloggueur répond à un commentaire l’accusant d’être un « décérébré » (insulte visant les thuriféraires du Parti) : « Si tu veux vraiment me critiquer, il faut au moins que tu prennes la peine de comprendre ce que j’ai écrit. En lisant ce genre de message, j’ai eu le plaisir de me rendre compte de la formidable efficacité de notre système éducatif. Regardez ce camarade si intéressé par les lettres et pourtant incapable de comprendre le chinois… »
Wang Xiaofeng pourrait s’en arrêter là. Il ne peut pourtant s’empêcher d’achever son ennemi avec des formules plus viriles dont se délectent ses lecteurs : « Parfois, à ces personnes qui ne comprennent rien mais qui aiment poster des commentaires pour exprimer leur point de vue, j’ai envie de dire : “tu as le droit de baiser, mais tu ne peux pas bander. Maintenant, ce que tu as de mieux à faire, c’est trouver un endroit tranquille pour te branler. Quand tu seras en érection, reviens nous voir.” »
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